Un casque de réalité virtuelle devant les yeux, des écouteurs, parfois une manee dans chaque main... Cela ne vous dit rien? Si, bien sûr. C’est la porte d’entrée du «metaverse» de Facebook/Meta, cet univers virtuel total qu’esquissait il y a quelques jours son directeur, Mark Zuckerberg. Mais avant de plonger – peut-être – dans ce monde numérique inquiétant, le Geneva International Film Festival (GIFF) nous invite aujourd’hui à profiter du meilleur du virtuel. Le festival, qui se tient jusqu’au 14 novembre, offre un panorama unique pour découvrir le meilleur de la création dans ce domaine.
Et c’est un joli paradoxe: alors que le numérique accélère nos vies, le spectateur est ici appelé à prendre le temps d'explorer des œuvres de pixels. Plus de 40 expériences sont proposées à la Maison communale de Plainpalais, mais aussi dans d’autres lieux de Genève. Avec à la clé des immersions très différentes, durant parfois jusqu’à une vingtaine de minutes. Ici, le visiteur est simplement assis, casque sur les yeux, et observe l’univers qui l’entoure. Un peu plus loin, il interagit avec l’œuvre par sa voix et le jeu de ses manettes. Ailleurs, son téléphone en main, il donne vie à des affiches en réalité augmentée.
Thérapie par le jeu
Commençons à défricher ces territoires virtuels avec Goliath – Playing with Reality. Yeux, oreilles et main équipés, le spectateur va découvrir l’histoire vraie d’un homme qui, après des années d’isolation en institution psychiatrique, parvient à sa sortie à renouer des liens et à former des amitiés grâce aux jeux en ligne. L’immersion est totale, grâce à la qualité des graphismes et à la puissance de la narration. L’on accompagne durant 25 minutes la plongée en enfer de cet homme et sa lente remontée à la surface grâce aux jeux vidéo. Et l’on est même invité, lors de plusieurs séquences, à jouer soi-même grâce à ses manettes. Non, les jeux vidéo ne sont pas qu’un exutoire pour ados adeptes de violence extrême, mais aussi un moyen d’aller mieux, voire de nouer des liens. Goliath est à notre sens une réussite majeure.
Prenons maintenant les escaliers pour nous rendre au Cinema VR. Ici, la cafétéria a été remplacée par une mini-salle de projection, où les spectateurs sont invités à prendre place sur une quinzaine de chaises. Place à la contemplation. Avec Tearless, de Gina Kim, notamment. Grâce à cette œuvre, le visiteur va, durant douze minutes, se rendre en Corée du Sud. L’on aperçoit un grand bâtiment désaffecté au milieu de la forêt. Désormais envahi par la végétation, c’est un ancien centre de détention, construit dans les années 1970, dédié aux travailleuses du sexe suspectées d’être atteintes de MST.
Plongée dans l’horreur
Séquence après séquence, on change de pièce. Tout semble à l’abandon. Mais après quelques secondes, des objets apparaissent, pour rappeler l’horreur du lieu. Des couvertures à même le sol. Une brosse à dents. Un lit d’opération ensanglanté. Puis apparaît une jeune femme au regard vide, assise sur un escalier, qui écrase sa cigarette avant de monter. On devine, ensuite, son suicide. Une œuvre magistrale qui lève le voile sur un pan méconnu de l’histoire de la Corée.
Rendons-nous ensuite à quelques centaines de mètres de là, aux Salons, rue J.-F. Bartholoni. Ici, un casque audio suffit pour apprécier What Is Left of Reality, de Ferdinand Dervieux et Pierre Zandrowicz. Debout face à un écran géant, le spectateur est confronté à un problème d’une brûlante actualité: le réchauffement de la planète et la destruction massive de notre environnement. Le tout avec subtilité, grâce au jeu incessant de millions de points de couleur à l’écran, qui esquissent le péril total auquel fait face notre planète.
Témoignages poignants
La thématique de l’éco-anxiété, qui frappe des millions de personnes à des degrés divers, est traitée de manière intelligente, d’autant que les images sont accompagnées de témoignages simples et poignants sur la catastrophe en cours. Sous l’écran, un petit dispositif conçu par Microsoft suit les déplacements du spectateur, lui offrant des points de vue différents selon son positionnement.
Retournons enfin à la Maison communale de Plainpalais. Nous n’allons pas nous arrêter à l’espace conçu pour les enfants, ni à celui dédié aux œuvres d’art. Non, direction le sous-sol du bâtiment, pour visiter son «Red Corner». Murs froids et lumière rouge, cet endroit est, comme son nom le suggère, dédié à deux œuvres flirtant avec la pornographie, interdites aux moins de 18 ans. L’une d’elles, intitulée In the Mist, de Chou Tung-Yen, nous place, durant un quart d’heure, dans un sauna gay. Des hommes entrent, s’adonnent à divers plaisirs, s’observent, s’emmêlent... Et parfois, l’un d’eux nous fixe avec intensité, de quoi nous troubler légèrement, d’autant que la qualité des images offre un réalisme impressionnant.
— Anouch Seydtaghia, Nov 9, 2021